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Il y a 50 ans, disparaissait Aboubacar Demba Camara

50 ans après sa tragique mort à Dakar, le peuple de Guinée se rappelle toujours de celui qu’on surnomma « Le Dragon de la musique africaine ». De par ses œuvres musicales intemporelles, plébiscitées par tous les publics durant plusieurs générations, Aboubacar Demba Camara du Bembeya Jazz National reste la plus grande légende de la musique guinéenne.

Qui est Aboubacar Demba ?

Dragon ! Le mot est sonore, il est chargé de feu. Dragon ! Deux syllabes qui résonnent comme un gong ou un canon. C’est selon.

Pourquoi alors, donner à Aboubacar DEMBA Camara, le sobriquet de ‘’Dragon de la chanson africaine’’?

Tout d’abord qu’en dit le dictionnaire ? Le dragon est un monstre fabuleux représenté avec des ailes et la queue d’un serpent. Dans ce cas, comment faire le pont entre la métaphore Dragon et DEMBA.

DEMBA fut réellement un animal de scène, une bête de spectacle. S’il n’était pas extraordinairement grand de taille, il avait le secret de se déployer sur scène comme un géant. Ses fulgurants pas de danse, ses haussements d’épaules intelligents, ses multiples déplacements en jambes croisées à gauche, puis à droite, ses sauts-éclairs dans le rythme Tentemba, et puis sa voix rageuse et enflammeuses, agressive et persuasive envoûtait.

Quand DEMBA montait sur le podium du Palais du Peuple par exemple, il était tout seul capable de remplir la scène et la salle. Il avait du volume, il avait de la présence! C’est pourquoi à la seule apparition physique de DEMBA, les spectateurs brûlaient déjà d’allégresse, et si alors il chantait et dansait, il incendiait littéralement le public d’extase.

Inutile de vous dire qu’un tel charisme artistique ne s’obtient pas banalement. Il faut avoir travaillé longtemps sa mise scénique, sans jamais pourtant tomber dans la sophistication.

Le mérite de DEMBA est d’avoir justement su créer un spectacle en tout point de vue authentique. Quand le BEMBEYA jouait par exemple ‘’Regard sur le Passé’’, DEMBA se vêtissait tout simplement d’un boubou blanc, la tête enturbannée et la dragonne de son sabre bien fixée à la taille. Jamais dans ce concert musical, DEMBA ne fut vulgaire. Dans cette épopée historique, il savait rester hiératique. Tandis que dans TENTEMBA, sous l’emprise des orgies rythmiques, l’artiste s’emportait allégrement, offrant le spectacle du chanteur-animateur accompli.

Mais, animal fabuleux, ce n’est pas la seule définition que nous donne le dictionnaire à propos de Dragon. Le Dragon c’est aussi un soldat de corps militaire de cavalerie de ligne créé au XVIè siècle, pour combattre à pied et à cheval.

Combattant, DEMBA le fut vraiment, avec sa voix comme bouclier et ses chansons comme épée rédemptrice de la culture Africaine.
La force de DEMBA, c’est d’avoir su transcender les vulgaires cancans, d’avoir su éviter les mélopées fastidieuses et les refrains ennuyeux. Son secret c’est d’être allé direct aux sources populaires, à la manière des aèdes de l’Afrique traditionnelle, avec l’aisance verbale des bardes de la savane mandingue.

DEMBA a travaillé intelligemment sa voix pour en faire le puissant véhicule de sa profonde conviction en l’avènement d’un monde de progrès, d’une humanité plus humaine. Tous ses chants sont ainsi l’expression d’un engagement, le don de sa personne à l’art, qui anoblit le peuple.

Voilà donc, comment DEMBA est doublement DRAGON, mais si nous fûmes les premiers à le surnommer, aujourd’hui aucun mélomane ne voudrait être le dernier à reconnaître que DEMBA est véritablement le DRAGON de la chanson Africaine. Justin Morel Junior

Segment biographique :

Aboubacar Demba Camara est né en 1944 à Conakry. Il est issu d’une famille d’ouvriers de

Saraya, petite gare de Kouroussa. Il a fréquenté l’école primaire de Coléa jusqu’en 1952 puis celle de Kankan jusqu’en 1957. Il revient ensuite à Conakry pour terminer ses études primaires avant de retourner à Kankan où il s’inscrit à la section (section manuelle). Il en sort avec le diplôme d’ébéniste.

C’est en 1963, à la +section manuelle+ de Beyla (ville du sud-est de la Guinée forestière, à 1000 Km de Conakry) que se dessine sa vocation. Excellent chanteur, Demba a acquis une diction entraînante dans son propre village. Il y crée une section musicale qui prit le nom de  »Bembeya Jazz de Beyla ». La réputation de cette formation gagne de plus en plus toutes les régions de Guinée.

A partir de la même année (1963), dans chacune des 33 préfectures de Guinée, le gouvernement organise une biennale au cours de laquelle s’affrontent les orchestres locaux. Le but de cette initiative était de rassembler le patrimoine musical guinéen à partir de ses nombreuses traditions régionales. Les gagnants sont invités au Festival national de Conakry. Ainsi deux orchestres de province accèdent, en 1966, à la dignité d’orchestre national : le Horoya Band de Kankan et le Bembeya Jazz de Beyla.

L’orchestre de Beyla gagne la médaille d’or aux deux premières biennales (1964 et 1966). Il est envoyé en tournée à Cuba. Aboubacar Demba Camara dit  »le Bègue » (il l’est en parlant, pas en chantant !) devient une superstar dans toute la sous-région, après le spectacle et le disque « Regard Sur le Passé » (1967) qui raconte l’histoire de Samory Touré, épopée qui constituait un hommage à Ahmed Sékou Touré.

L’élévation du  »Bembeya Jazz » au rang de formation nationale marque le début d’une  »aventure » qui devait solliciter Demba et ses amis sur tous les fronts de bataille où l’émancipation culturelle de l’Afrique était en jeu. La musique du Bembeya est une synthèse des styles afro-cubain et mandingue, se voulant aussi un mélange de toutes les traditions musicales guinéennes. Il lui estassigné le rôle de jouer tous les rythmes du pays.

Avec son style et son ouverture internationale, le Bembeya Jazz inspire des groupes dans la sous-région : A Bamako, le Rail Band (dont les vedettes sont le Malien Salif Keita et le Guinéen, Mory Kanté) et les Ambassadeurs ; à Dakar, l’Orchestra Baobab, le Star Band, le Super Étoile et le Super Diamono.

La mort de l’artiste du peuple 

Victime d’un accident de la circulation, l’artiste du peuple Aboubacar Demba n’est plus. Demba n’est plus, un fils de la grande Révolution Africaine de Guinée vient de s’éteindre à Dakar. Le premier chanteur, l’animateur et célèbre compositeur de l’orchestre Bembeya Jazz National Aboubacar Demba Camara, s’est éteint le jeudi 5 Avril 1973 à 1 heure du matin à l’hôpital principal de Dakar par suite d’un accident d’automobile survenu le samedi 31 mars 1973 au carrefour tristement célèbre « des phares des mamelles « de la capitale sénégalaise.

Le national Bembeya Jazz invité à se reproduire par le gouvernement frère du Sénégal venait de fouler le sol de l’aéroport international de Dakar-Yoff à 22 heures, accueilli dans une chaude fraternité par les populations de la capitale sénégalaise.

Quelques instants après, dans l’ambiance de l’accueil, la file de voitures emmenant les artistes de l’aéroport en ville, va à toute allure. La voiture Peugeot 504 transportant trois éléments du National Bembeya Jazz: Sékou Diabaté guitariste, Salifou deuxième chanteur et Aboubacar Demba Camara, dérapa au niveau du carrefour des phares mamelles.

Les occupants durement secoués se sont retrouvés quelques minutes après à l’hopital principal de Dakar où le diagnostic des medecins décela la gravité du cas du célèbre chanteur Demba: fracture du crâne, compression de la cage thoraxique (sous l’effet du choc de la portière qui l’avait entrainé) et plusieurs blessures ouvertes sur le corps.

Tombé dans le coma, Demba a lutté avec la mort six jours durant. Mais l’hémorragie et la fatigue ont triomphé de son corps, malgré toute l’assistance médicale à lui porté par le corps médical sur recommandation spécial du Gouvernement frère Sénégalais qui n’a rien menagé pour sauver la vie de cet ambassadeur de la culture africaine qui est, comme le disait à l’aéroport international de Dakar, Monsieur Amadou Cissé Dia président de l’assemblée nationale du Sénégal: un précieux trésor qui nous est commun. Le peuple de Guinée n’a rien menagé pour rendre à cette grande figure de la culture africaine tout l’hommage que mérite sa mémoire.

A l’annonce de la foudroyante nouvelle qui nous a traversés comme un méridien de feu, une forte délégation du Comité central et du Gouvernement conduite par le camarade Mamady Keïta membre du bureau politique du comité central ministre du domaine de l’éducation et de la culture a quitté Conakry jeudi 5 Avril 1973 à 14h 45, par un vol spécial de la compagnie Air Guinée à destination de Dakar en vue de ramener le même jour la dépouille mortelle du grand artiste disparu.

Arrivée de la dépouille mortelle à Conakry et Hommage National

C’est à 16h 20 que la délégation Guinéenne est arrivée à l’aéroport international de Dakar-Yoff, où le peuple sénégalais à travers les populations de la capitale, dans une profonde consternation, formait une haie d’honneur autour du cercueil placé dans un corbillard. Une forte délégation du gouvernement sénégalais conduite par Monsieur Amadou Cissé Dia président de l’assemblée nationale était venu accueillir la délation guinéenne à Yoff.

La douleur et la consternation se lisaient sur tous les visages, à l’aéroport plongé dans un silence.

Demba était connu au Sénégal. Il y avait conquis tous les cœurs, sa voix chaude lui avait rallié tout un chacun. Son nom était sur toutes les lèvres. Aussi sa mort a-t-elle catastrophé le peuple sénégalais comme l’exprimait Monsieur Amadou Cissé Dia dans une déclaration faite à la presse guinéenne à Yoff.

Au cours de l’entretien au salon d’honneur, le camarade Mamady Keïta a transmis les sincères remerciements du gouvernement guinéen à celui du Sénégal pour l’assistance fraternelle qu’il a apportée aux victimes de ce malheureux accident, félicité le peuple sénégalais pour la mobilisation spontanée à l’aéroport et pour l’envoi d’une délégation qui doit assister aux obsèques de Conakry. Le camarade Mamady Keïta devait transmettre également les sincères remerciements du Président Guinéen au président sénégalais Léopold Sendar Senghor pour toutes les mesures adéquates qu’il a prises en ces douloureuses circonstances.

C’est à 17h 45 que la délégation guinéenne a quitté l’aéroport de Dakar ramenant le corps de notre regretté Demba qui a été reçu à l’aéroport de Conakry gbéssia dans la plus grande affliction et méditation. A peine L’IL 18 s’était immobilisé à 19 h sur l’aire d’attérissage que de nombreux militants en larmes entourèrent l’appareil. Partout on sentait la douleur, la consternation profonde. Placé dans un camion suivi des membres du comité central et du gouvernement, des responsables politiques des deux fédérations de Conakry, le cercueil a été escorté au milieu d’une haie silencieuse formée par les militants depuis l’aéroport jusqu’au Palais du Peuple où des milliers de militants, le coeur serré pleuraient d’émotion mal contenue.

Triste moment, souvenir cuisant, destin impitoyable. Demba est pleuré par tout le Peuple de Guinée en tête le Responsable suprême de la Révolution, qui est venu personnellement avec son épouse s’incliner devant le cercueil de l’artiste disparu. Dans la nuit du jeudi au vendredi une veillée funèbre a été organisée autour de la dépouille mortelle du disparu par les membres du Comité Central et du gouvernement, les responsables politiques des deux fédérations, les artistes des formations musicales de la capitale. La mort de Demba est un deuil national.

Ambassadeur de l’art et de la culture Africains que le Peuple du 28 septembre défend jalousement, des obsèques nationaux ont été organisés à 16 heures 30 minutes en son honneur avec la participation d’une forte délégation du gouvernement sénégalais conduite par Mr Lamine Diack Sécrétaire d’Etat à la promotion Humaine et comprend le Vice Président de l’Assemblée Nationale Mr Mamou Ba, le Sécrétaire Général du M.J.U.P.S.(Mouvement de la Jeunesse de l’Union Progressiste Sénégalaise ) Mr Papa Alioune N’Daw, Madame Hawa Dia Députée, El Hadj M’Baly Sécrétaire Général de l’association Foyer du Saloum et une forte délégation du théâtre National Daniel Sorano.
Cette délégation qui est arrivée à 10 heures 55 minutes à Conakry à été acceuillie à l’aéroport de Conakry Gbessia par le camarade Premier Ministre Lansana Béavogui entouré de plusieurs membres du comité Central et du Gouvernement.

De l’aéroport Gbessia, la délégation s’est rendue au palais du Peuple où elle s’est inclinée devant le cercueil du disparu. De grandioses cérémonies funèbres qui ont connu la participation effective de nombreux chefs de missions diplomatiques de pays amis en Guinée ont été organisées à Conakry.

Demba vivra éternellement au sein du Peuple de Guinée qui fredonnera à jamais les chansons, les airs mélodieux du ténor de la chanson Guinéenne.

Demba, disons-nous appartient à cette lignée de héros qui ne meurent pas et qui ne sauront mourir car ils se seront donnés corps et âme à leur Peuple dont au delà du mortel, ils continueront à incarner les hautes vertus.

Les dizaines de milliers de militants de la capitale qui ont accompagné Demba Camara en sa dernière demeure lui ont témoigné et la confiance et la foi du Peuple.

C’est la plus belle des médailles, celle que confère le Peuple à ces fils. C’est la profonde signification qui se dégage de la décoration du regretté disparu de la Médaille d’Honneur du Travail à titre posthume. Alphonse Boulamou , Extrait du journal Horoya N°1990 du Dimanche 08 Avril 1973 Page 1 et 2

Après la mort de Demba , le Bembeya Jazz restera toujours orphelin de son leader charismatique

La mort du chanteur Aboubacar Demba Camara, devenu au fil des années le leader incontesté du Bembeya Jazz, ouvre une longue période de deuil et de désarroi.

Le président Ahmed Sékou Touré lui-même impose quelques années plus tard le successeur de Camara, un jeune griot venu de Kintinya (à la frontière malienne), Sékouba  »Bambino » Diabaté. Mais le Bembeya Jazz restera à jamais orpheline de Demba qui a lui seule représentait l’immense carrure inclassable du groupe avec une une créativité artistique hors pairs.

Après la mort de SékouTouré en 1984, l’on assiste à une privatisation des orchestres nationaux, le Bembeya Jazz devient propriétaire de son club et de ses instruments. Mais après une tournée européenne en1985, l’existence devient difficile. Ses activités s’arrêtent et ne reprennent qu’au début des années 2000.

Actuellement la situation du groupe ne s’est toujours pas améliorée. Prenant de l’âge, les membres du groupe tentent de former tant bien que mal une nouvelle génération de Bembeya Jazz pour reprendre le  flambeau, mais en vain. Malgré tout, les œuvres d’ Aboubacar Demba Camara et le célèbre Bembeya Jazz résistent toujours au temps et ont conquis le cœur des millions mélomanes à travers le monde. Car, ils ont signé avec leurs talents les plus grands classiques de la musique africaine de Guinée. Alors, mission accomplie !

Discographie du Bembeya Jazz National

  • 1968 : Bembeya Jazz
  • 1971 : Discotheque 71 – Various artists
  • 1973 : Authenticité 73
  • 1974 : Memoire de Aboubacar Camara
  • 1976 : Le défi
  • 1977 : La continuité
  • Jardin de Guinee
  • 1987 : Sabu (LP)
  • 1992 : Telegramme
  • 1993 : Bembeye Jazz Live – 10 Ans de Success
  • 1988 : Wà kélè
  • 1990 : Regard sur le passé
  • 1997 : Etape nouvelle: Concert agression au Stade Modibo Keita à Bamako
  • Yekele (LP)
  • 2000 : Hommage a Demba Camara
  • 2000 : Le défi / La continuité
  • 2002 : Bembeya
  • 2006 : African nights
  • 2007 : The Syliphone years. Hits and rare recordings

Dossier & Synthèse : Aboubacar Mamadou Camara

www.afroguinee.com

 

A propos Aboubacar

Journaliste et animateur radio. Directeur de Publication de ©Afroguinée Magazine, premier portail culturel et événementiel de Guinée-Conakry.

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