Groupe phare de la seconde génération du rap de Mars, La Fonky Family refait surface avec une série de concerts et un best-of. Récap’ d’une carrière chaotique et chaude comme Marseille.
Samedi 14 septembre, dans la campagne dijonnaise, le festival de rap français Golden Coast bat son plein. À 19h57, La Fonky Family déboule. La majorité des artistes programmés n’était pas née quand ce groupe est apparu pour la première fois sur disque, en featuring sur Bad boys de Marseille, single épique du solo d’Akhenaton Métèque et mat sorti en 1995.
Évoquer la Fonky Family, c’est se souvenir d’une autre époque du rap français. Une époque où le concept de groupe faisait la loi, là où aujourd’hui, il a presque complètement disparu. Où les textes enflammés étaient la norme, là où désormais le discours autocentré règne en maitre.
Dès la sortie de Bad boys de Marseille, les espoirs portés sur ce collectif marseillais sont immenses. Il faudra néanmoins attendre 1997 pour que sorte le premier album, Si Dieu veut…, un instant classic où l’on retrouve les titres iconiques La Furie et la foi, Cherche pas à comprendre et Sans rémission, tous inclus sur le Best-of qui sort ces jours-ci.
Si Bad boys a vu le jour sur le solo d’Akhenaton, c’est parce que ce dernier les a découverts lors d’un concert hommage à Ibrahim Ali, membre du groupe B. Vice assassiné par des colleurs d’affiche du front national, et a été impressionné par leur énergie. Cette même énergie qui va faire du premier album un succès populaire et critique, signant ainsi la naissance d’une seconde génération du rap de Mars, avec Psy4 De La Rime, 3ème Œil et quelques autres.
Les connexions avec le reste de la scène française se font à l’instinct, dans un esprit de compétition saine, comme en témoigne Kamal Haussman, du fameux crew Time Bomb, dans son autobiographie : « La FF, on les trouvait excellents. Pas seulement parce qu’eux aussi savaient placer les bons mots sur une musique, mais parce qu’ils avaient du fond. Ils représentaient les couleurs de leur ville, de leur quartier, de la rue, d’une jeunesse française oubliée, et ils le faisaient bien, avec des flows fluides et avant-gardistes. Pone et Djel étaient dotés d’une culture musicale si large que j’avais parfois l’impression d’entendre du Mandarin. Ce qui permettait à Pone de produire des beats extraordinaires ».
Pone, principal concepteur sonore du groupe, a souvent été associé à DJ Mehdi, ces deux producteurs faisant partie des rares qui ont su créer un son original là où les beatmakers français avaient souvent tendance à copier les Américains. C’est lui qui a donné cette couleur si particulière aux instrumentaux de La FF, avec cet arrière-goût eighties, ces samples originaux et ces ambiances uniques. Le Rat Luciano a conçu les sons de plusieurs titres, mais c’est Pone qui reste le dépositaire du son FF.
En 2001, Art de rue confirme la puissance venue du Sud avec des titres comme Nique tout, Petit bordel et Mystère et suspense. Entre temps, le groupe a posé sa griffe sur les Chroniques de Mars, compilation d’Imhotep dont le titre phare est Le Retour du shit squad, 7’13 fumantes où la FF partage le mic’ avec Akhenaton, Freeman, Faf La Rage, 3ème Œil et K-Rhyme Le Roi. Une jam collective que l’on peut retrouver sur ce best-of, le premier de leur carrière.
Avec ou sans Pone
Après Art de rue, un live au Dôme de Marseille en 2003 tente de capturer la folie FF en concert, puis Marginale musique en 2005 est l’ultime témoignage studio du crew, miné par des dissensions internes. La FF explose, le split est acté. Il faudra dix ans pour que le groupe remonte sur scène, hélas pour une triste cause : Pone a été diagnostiqué comme porteur de la maladie de Charcot. Après de longs mois et un cheminement spirituel, Pone trouvera la force de vivre malgré sa situation physique, celle d’une paralysie totale avec ses yeux comme moyen d’expression.
Le 17 avril, Pone rend public un long communiqué dans lequel il officialise sa mise en retrait du groupe. Extraits : « On m’a mis au courant de cette tournée quelques heures avant son annonce publique et le lancement de la promo. On ne m’a pas proposé d’y participer de quelque manière que ce soit. On m’a donné comme justification qu’il s’agissait d’une ‘formation scénique de la Fonky Family’, composée de Dj Djel, Don Choa, Le Rat Luciano, Menzo, et Sat. Or, la FF a toujours été constituée de 7 membres. (…) Ce que j’ai beaucoup de mal à comprendre, c’est d’avoir été exclu de ce projet sans même avoir été consulté. (…) Si je m’exprime aujourd’hui par ce communiqué de presse, c’est pour dire publiquement (après y avoir longuement réfléchi) que je ne fais plus partie de la Fonky Family. (…) ».
« Mon dernier souvenir collectif de la FF est ce merveilleux concert qu’ils ont fait en mon honneur à l’Espace Julien quand je suis tombé malade en 2015 » se souvient Pone, interviewé par mail fin septembre. « J’ai songé à quitter la FF en début d’année 2024, après avoir été tenu à l’écart de leurs projets de tournées. De mon côté, je n’ai pas vraiment de regrets à avoir concernant cette séparation dans la mesure où c’est une situation que j’ai subie. De leur côté, je regrette qu’ils n’aient pas abordé les choses avec davantage de correction. J’en ai longuement parlé au téléphone avec Le Rat Luciano par l’intermédiaire de mon épouse Wahiba, c’était un besoin. Avec Don Choa aussi, ils m’ont tous deux exprimé leurs regrets sur la situation, qu’ils ne savaient pas vraiment pourquoi personne ne m’avait parlé de cette tournée. Le seul membre du groupe avec lequel je garde des liens, c’est Fel (danseur et rappeur du groupe jusqu’en 2006, absent de la reformation en 2024, ndr). Je me désolidarise de ce qu’ils feront à l’avenir, mais je n’oublie pas tous les moments incroyables que j’ai vécus grâce à eux et je leur souhaite tout le bonheur ».
Tandis que la FF semble déterminée à poursuivre ses shows, Pone, bien que cloué à vie sur son lit médicalisé, reste extrêmement productif. Il a déjà sorti trois albums et en prépare un nouveau (« Je ne peux pas vraiment en parler dans la mesure où je ne suis pas sûr que ça aboutira, mais j’ai l’intention de le sortir courant 2025 »). Il a écrit un manuel sur sa maladie (La SLA Pour Les Nuls) et son autobiographie préfacée par Kate Bush, Un Peu plus loin, qui devrait être adaptée au cinéma ou en série télé (« Une fois de plus, il n’y a rien de sûr, mais une boîte de prod l’envisage »).
Et puis il y a ce nouveau projet, un livre pour enfants, Hey, La Vache ! : « C’est une histoire que j’ai racontée à une de mes filles lorsqu’elle était petite, celle d’une vache qui voulait voir la mer. Quand je lui en ai parlé, mon éditeur m’a suggéré de l’envoyer à l’émission de France Inter ‘Une Histoire Et… Oli’. Elle leur a plu et ils l’ont diffusé. Le dessinateur Yannick Vincente l’a entendue et m’a proposé d’en faire un livre, qui devrait être disponible en décembre. Je viens également de signer un deuxième conte pour enfants qui devrait sortir en 2025 ».
Pone a écrit un autre ouvrage encore inédit, un roman d’anticipation à la Lovecraft. « Dire que c’est à la Lovecraft serait prétentieux. C’est un récit d’environ 500 pages tiré d’un cauchemar que j’ai fait pendant un coma, lorsque j’étais en réanimation ». Et quand on lui demande ce qu’il pense de la sortie de ce Best Of de La FF, Pone reste positif : « Je pense que c’est une bonne chose pour les gens qui nous suivent depuis un moment ».
Fonky Family Best Of (Legacy/Sony Music) 2024