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Grand Angle : Le tsunami afro-rap !

Les liens qui unissent la musique africaine au rap français remontent quasiment aux origines de ce dernier. Aujourd’hui, l’interpénétration des genres est incontournable. Elle permet d’ailleurs à des artistes comme Maître Gims de tenir le haut du pavé. Retour sur un phénomène qui n’est pas prêt d’être endigué.

On se souvient de l’album des Little, Les Vrais, en 1992, le premier groupe de Sulee B, future pointure de la production hip hop, dont l’invité d’honneur était le saxophoniste camerounais Manu Dibango sur le single Ressens le son.

On se souvient encore de Passi, membre éminent du Ministère Ämer, expliquant qu’il avait souhaité sampler le fameux tube de rumba congolaise Mario, du grand maître Franco, sur le second album du groupe, 95200, mais en avait été empêché par les ayant-droits. Têtu, le rappeur finira par avoir gain de cause.

Sauf qu’au lieu de sampler Mario, Passi va aller plus loin dans son projet de fusion rapologique. Le groupe Bisso Na Bisso, dont le nom signifie en lingala « entre nous », apparaît pour la première fois en 1997, sur L’Union, un morceau du premier solo de Passi, Les Tentations.

Racines, le premier album du Bisso, voit le jour en 1999. Les huit membres du collectif ne sont pas des inconnus : derrière Passi, sa cousine M’Passi de Melgroove, les jumeaux D.O.C. et G Kill (2Bal), Lino et Calbo d’Ärsenik, Ben-J des Nèg’Marrons et Mystik. « Bisso avait commencé même avant mon album solo, il y a un morceau qui date de novembre 96, C.O.N.G.O.. Je faisais mon album d’un côté et Bisso de l’autre. On se retrouvait entre Congolais au studio et le groupe s’est monté comme ça, l’envie est venue », m’expliquait Passi en 1999. Et il ajoutait cette phrase qui semblera étrange en ces temps où le rap français fait la course en tête dans les ventes : « Souvent les chanteurs africains n’aiment pas trop le rap. Mais là, ils savaient qu’ils ne venaient pas chez des jeunes qui faisaient n’importe quoi ».

Dix-sept ans plus tard, c’est Fally Ipupa, Congolais qui fit partie du groupe de Koffi Olomidé Quartier Latin, qui va chercher Booba pour le duo Kiname, exemple le plus récent d’une collaboration afro-rap. Huit millions de vues YouTube au compteur et ça n’est pas fini.

Flashback : après l’album du Bisso, qui sera l’occasion d’un grand concert œcuménique au Zénith de Paris le 15 mai 1999 (sorti en CD), pas beaucoup de suiveurs. En 1999, Mokobé du 113 propose le titre Tonton d’Afrique en face B du maxi du 113 Jackpotes 2000. En 2001, sur son album Si c’était à refaire, Kery James invite Salif Keita (sur La Honte) et… la Mafia K’1 Fry, rebaptisée « famille africaine », un collectif puissant, mais qui reste dans l’orthodoxie hip hop plus que dans la fusion afro.

Mokobé va plus loin en 2007 avec Mon Afrique, un album riche de 22 sélections panafricaines où l’on retrouve notamment Salif Keita, Patson, Youssou N’Dour, Viviane Ndour, Fally Ipupa, Tiken Jah Fakoly et Amadou & Mariam.

Il récidivera en 2011 avec Africa Forever, invitant cette fois Soprano, Oumou Sangaré, Fodé Baro et le Jamaïcain Jah Cure. Du coup, Mokobé s’est fait renvoyer la balle par Magic System, qui a invité le Malien du 113 sur Bouger, bouger, un single sans autre ambition que de faire danser.

L’incontournable Maitre Gims

La locomotive du rap afro fut bien sûr Sapé comme jamais, le méga tube de Maître Gims inclus sur son double CD Mon cœur avait raison. Sa prestation aux Victoires De La Musique 2016, entouré d’une vingtaine de sapeurs congolais, a fait monter le buzz autour de ce morceau irrésistible, un des plus gros succès de l’année toutes tendances confondues.

 

Les deux révélations africano-rapologiques de 2016 sont le Congolais Niska, qui a épicé Sapé comme jamais avec un couplet explosif avant de livrer un album marqué au sceau de l’africanité, et MHD, le Sénégalo-Guinéen de Paris dont les épisodes de sa série Afrotrap ont cumulé près de 80 millions de vues Youtube.

Désormais, et c’est un scoop, le ndombolo redevient donc « hype », la danse du ventilateur va pouvoir se mélanger aux danses hip hop. Le côté hypnotisant de la trap music favorise des connexions avec les styles les plus variés, souvent calqués sur des danses africaines urbaines ou traditionnelles. L’inspiration change de camp. Et si, après des années à regarder avec méfiance leur propre folklore en préférant suivre l’exemple américain, les artistes urbains du continent africain se mettaient à lancer les tendances ?

Car la conséquence de cette poussée afro sur le rap français, c’est qu’elle ouvre une nouvelle frontière pour les artistes africains. « Le rap africain existe depuis plus de vingt ans », appuie Binetou Sylla, directrice du label Syllart. Elle a d’ailleurs sorti cet été Afro Dias, une compilation dont le sous-titre est Génération Enjaillement, où l’on retrouve les nouvelles stars et les futurs grands du rap afro, dont MHD, Kif No Beat, FK, 13 Bloc et C Cane.

La famille Wati-B n’est pas en reste. Après Maître Gims, c’est Abou Debeing qui arrive. Et dans son album Debeinguerie, la couleur afro est très présente, notamment avec la chanson Dansa : « C’est un morceau tendance afro house, avec des sonorités brésiliennes et cap-verdiennes. On a fait le titre en studio, et je n’en ai parlé à personne. J’ai laissé le morceau dans mon portable. Un jour, je suis avec mes potes en voiture, ma playlist défile et on tombe sur le titre. Tout le monde est choqué. Je dis que je l’ai enregistré vite fait, ils me disent : ‘T’es fou, il faut le sortir !’ Et depuis que je l’ai finalisé, dans tous les clubs, il est incontournable. Ça me fait rire quand je l’entends en boîte, il allait aller aux oubliettes ».

Lanceur de tendances

N’oublions pas Booba, et si on y revient toujours, c’est que le rappeur de Boulogne s’est imposé comme un lanceur de tendances. On l’a entendu sur le titre du Martiniquais Kalash, Rouge et bleu. Après son single Validé, adaptation de Ignanafi Debena de Sidiki Diabaté (qui vint le rejoindre sur la scène de l’AccorHotels Arena pour jouer de la kora sur le morceau) et Kiname, il a suivi avec DKR, dont le clip fut tourné au large de Dakar, sur l’île de Gorée. Une superbe chanson ouverte par ces lignes : « C’est pas le quartier qui me quitte/ C’est moi, je quitte le quartier ».

Derrière Sidiki Diabaté et Fally Ipupa, il y a du monde. Car sur le continent africain aussi, la trap fait des ravages. Ainsi la rappeuse ghanéenne Lady Jay, proche de Seun Kuti et de la chanteuse Sia Tolno, qui livre avec Vénus un titre entre afrotrap et azonto. Valeur ajoutée : Vénus bénéficie d’un guest star de choc, Sarkodie, le rappeur « number one » du Ghana, primé deux fois aux BET Awards. L’occasion pour Lady Jay d’inventer un nouveau sous-genre, le trapzonto.

On l’aura compris, l’afrotrap – et surtout l’afro rap -, on n’a pas fini d’en entendre parler.

Bisso Na Bisso Racines (V2 Music) 1999
Mokobé Mon Afrique (Jive Epic) 2007

Maître Gims Mon cœur avait raison (wati B / Jive epic) 2015
Compilation Afrodias Génération Enjaillement (Syllart) 2016

Abou Debeing Debeinguerie (wati B / Jive Epic) 2017

Par : Olivier Cachin

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A propos Aboubacar

Journaliste et animateur radio. Directeur de Publication de ©Afroguinée Magazine, premier portail culturel et événementiel de Guinée-Conakry.

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