L’avocate Elise Arfi plaidera mardi, devant le juge des libertés et de la détention, le placement sous contrôle judiciaire du rappeur MHD, incarcéré à la Santé depuis janvier 2019. L’artiste est accusé d’avoir participé à une rixe mortelle.
Depuis un an et demi, Mohamed Sylla, rappeur de 25 ans dont les titres totalisent un milliard de vues sur YouTube, est incarcéré. Et le dossier patine. “Le Covid a paralysé les investigations”, se désole l’avocate Elise Arfi, qui, avec le ténor Eric Dupond-Moretti, a demandé au juge d’instruction depuis plusieurs mois que soient réalisées des confrontations et que soient communiquées à la défense les fadettes originales, ne se contentant pas des synthèses versées au dossier. Comme huit autres personnes, MHD est mis en examen pour homicide volontaire dans un dossier de guerre des bandes entre deux cités parisiennes, les Chaufourniers dans le XIXe arrondissement et la Grange-aux-Belles, dans le Xe.
Loïc Kamtchouang, 23 ans, est mort poignardé à 22 reprises, après avoir été projeté au sol par une Mercedes, dans la nuit du 5 au 6 juillet 2018. Depuis sa mise en examen en janvier 2019, le pionnier de l’afro-trap en France clame son innocence depuis sa cellule de la prison de la Santé où il est incarcéré dans l’attente de son procès.
Mardi 7 juillet, aura lieu devant le juge des libertés et de la détention (JLD) le débat contradictoire qui fixera la prolongation ou non de sa détention provisoire, comme c’est de droit au bout de 18 mois derrière les barreaux. Pour demander la libération de son client, Elise Arfi compte reprendre les arguments de l’ordonnance émise par la juge d’instruction en plein confinement, alors que MHD présentait tous les symptômes du Covid : “Dans ce dossier, les investigations sont quasi-terminées. Il manque les confrontations, qui ne seraient en rien empêchées par la liberté.” Pour émettre l’ordonnance, la juge avait même demandé une étude de faisabilité du bracelet électronique. En vain, puisque suite à un appel du parquet, la chambre de l’instruction avait décidé finalement de laisser l’artiste en prison.
Science et Bien-Être
Le manque de preuves tangibles pointé par l’avocate
Enfin, insiste l’avocate auprès du JDD, “il n’y a toujours pas de preuve tangible de la présence de mon client sur les lieux”. Sur les bandes de vidéosurveillance, plusieurs éléments permettaient a priori d’identifier la star : une couleur de cheveux – blond peroxydé – et une tenue Puma que, assurent les enquêteurs à l’entame de la procédure, seuls les ambassadeurs de la marque s’étaient vu offrir. Devant la juge, Mohamed Sylla raconte qu’ils sont “vingt dans la cité” à avoir cette coupe à la mode. Quant à la combinaison blanche, Puma a depuis assuré que le modèle “Rebel Hobby” avait été commercialisé en décembre 2017. Tout le monde pouvait se la procurer. D’ailleurs, trois témoins ne racontent-ils pas avoir aperçu MHD vêtu d’un jean et d’un T-shirt blanc ce jour-là? Comme une certaine Sandra, qui dit avoir passé la seconde partie de la nuit avec le rappeur dans son studio d’enregistrement du XIXe.
Un enfant calme, sans problème, avec le coeur propre
Troisième élément à charge, la Mercedes noire appartient à MHD. Mais les relevés GPS du bolide le prouvent, le gamin prodige le prêtait à toute la cité. Enfin, le témoin-clé de l’accusation qui dit avoir vu le rappeur sur les lieux du drame, un ami d’enfance de la victime, est comme le suspect principal du meurtre : introuvable. Convoqué à trois reprises pour une confrontation, il ne s’est jamais présenté.
Pourquoi Mohamed Sylla, dont le casier judiciaire ne comporte que deux mentions pour des défauts d’assurance, qui n’a jamais pris part à la guerre des bandes, participerait-il à un tel meurtre? L’enquête de personnalité, comme les expertises psychologique et psychiatrique (réalisée par Roland Coutanceau), versées au dossier brossent le portrait d’un jeune homme qui n’a pas le profil d’un criminel. MHD évoque son succès fulgurant “avec simplicité”, lui qui a “un attachement prégnant aux valeurs transmises par ses parents”. Sa mère, cantinière dans une école juive du quartier, dépeint “un enfant calme, sans problème, avec le coeur propre”. Troisième d’une fratrie de cinq, il est le “protégé” de son père, employé dans un snack.
Une ascension fulgurante
Né en Vendée, MHD s’installe rapidement dans les logements sociaux de la capitale avec sa famille. En 2003, les Sylla emménagent dans la Cité rouge, près du siège du Parti communiste dans le XIXe arrondissement de Paris. Gamin “timide et réservé”, il mène une adolescence casanière, entre jeux vidéo et mangas. Il rappe, en cachette de ses parents d’abord, confie-t-il à l’enquêteur de personnalité. C’est à l’été 2015 que sa vie bascule. En vacances avec ses collègues de chez Pizza Hut, il poste un freestyle sur les réseaux sociaux. Un carton : un million de vues en quelques heures.
Le jeune homme signe chez Warner. Son “mouv”, qui consiste à agiter les jambes tout en grattant une guitare imaginaire, est repris dans le monde entier : des joueurs du PSG au fils de Madonna, en passant par le rappeur américain Drake. Sorti en avril 2016, son premier album qui popularise l’afro-trap, un hip-hop aux sonorités africaines, se vend à plus de 400.000 exemplaires. Et voilà le gamin du XIXe qui parcourt le monde de Conakry, en Guinée, où 60. 000 personnes viennent l’applaudir au festival de Coachella, aux Etats-Unis, où son nom côtoie celui de Beyoncé. “Je n’aurais jamais imaginé ça, raconte-t-il depuis sa cellule. J’avais l’impression de rêver. Des artistes de la télé me parlaient comme si on était collègues.” François Hollande et Emmanuel Macron l’ont tour à tour invité à l’Elysée.
Avec ses revenus devenus fous – un million d’euros en 2018 – il achète un salon de coiffure à son grand-frère, paie les fournitures scolaires de sa plus jeune sœur et envisage d’acquérir un appartement en Ile-de-France pour ses parents. Lui a investi dans un logement à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine). Quand il sortira de prison, indique-t-il aux experts qui l’interrogent, il a pour projet de construire un orphelinat et un complexe sportif en Guinée.
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