La voix, soudain, sort des machines. Sur le seuil d’une petite pièce, un rire éclate, avec ce mot, tonitruant et chaleureux : « Bienvenue ! » Alpha Blondy, bonne humeur triomphale, nous accueille au sein du Studio de la Grande Armée, où il réalise le mix de son vingtième album, Energy. « En travailleur acharné, je bosse sur ce disque depuis trois ans. Je l’ai enregistré dans mon studio, chez moi, à Abidjan : un lieu qui me permet d’écrire, de créer, de corriger, d’enregistrer, de mener de front plusieurs projets, dit-il. Ici, le ‘marabout blanc’ (Alpha rit) fait son grigri, sous la houlette de mon arrangeur Evariste Yacé, pour parer la matière brute des couleurs auxquelles j’aspire… ». Le « Marabout Blanc » ? C’est l’ingénieur du son, Laurent Dupuy, attelé aux milliers de boutons de l’impressionnante machine Neve – la « Roll’s Royce des tables de mixage ! », dit Alpha.
Des chansons engagées, mais pacifiées
La musique reprend. Freedom : aux côtés du chantre ivoirien, la voix du reggaeman jamaïcain Tarrus Riley s’élève. Le chant y scande les noms des pays africains – « Liberia got to be free, Gambia got to be free, Senegal got to be free, etc… from misery and poverty… « .
Autre héros jamaïcain présent sur Energy ? Dans Rainbow In The Sky, I Jahman fait entendre sa voix. Ici, les riffs de guitare s’envolent, électriques, sur les pulsations africaines. Plus rock, plus musclé, cordes saturées (« Un titre qui secoue le cocotier », dit Alpha), No Brain No Headache surfe sur des tempos débridés.
Et puis, il y a l’engagé Maclacla Macloclo :« Ce qui a tué Maclacla va tuer Macloclo. Les mêmes causes produisent les mêmes effets. »Dans cette chanson, Alpha récite cette triste litanie : « Tyrannie démocratique, génocide démocratique, tortures démocratiques… « .Le chanteur explique : « Macloclo ou Maclaca, si l’un ou l’autre détient le pouvoir ? Mêmes absurdités, mêmes cécités, mêmes erreurs. Je me bats indifféremment pour la paix. Pas de pessimisme : j’avertis. »
Dans ce disque, le reggaeman ivoirien chante aussi la douleur des mères africaines, aux fils morts aux combats (Séchez vos larmes), la prière adressée à celle « qui fut sa grand-mère, sa mère et son père »lors de son décès (Allah Tano, interprétée avec le chanteur marocain Assim), un hommage à Mandela (Madiba m’a dit, écrit par la journaliste Valérie Fayolle), et même une reprise de Claude François,Une petite larme m’a trahi (« Je la chantais pour draguer au lycée », sourit-il.). Sur ce disque métissé –soupçons de rock, salsa, roots–, au cœur reggae, résonnent aussi les voix de Jacob Desvarieux (Kassav’) et du reggaeman ivoirien Ismaël Isaac.
« L’énergie, c’est Dieu, c’est la vie. »
Au fil de l’écoute, le studio se remplit : des amis d’Alpha débarquent en provenance du Brésil. Sa fille, Sarah, vient l’embrasser. Tout le monde, debout, découvre le son, claque des doigts, chante, applaudit. Une vague de vibrations positives emplit le lieu : l’énergie.
Pour donner corps au titre de son album, Alpha Blondy explique : « Tout, ici-bas, est énergie. Toutes nos actions – écrire, marcher, etc. –, toutes nos relations, composent ces fluides. En vérité, j’utilise ce mot pour ne pas répéter ‘Dieu’. Pourtant, c’en est une déclinaison. L’énergie, c’est la vie, la foi, par-delà toute chapelle, mosquée ou synagogue. Je refuse d’apposer un label sur ma croyance. Je m’approprie Dieu, dénominateur commun aux trois Livres ».
Dans ce disque, le reggaeman surplombe ainsi les conflits spécifiques qui ravagent la société, son continent, s’extrait du « train-train des conflits humanoïdes ». Est-ce à dire qu’Energy se situe hors de tout engagement ? Il impose, au contraire, ses combats, version pacifiste. « La politique, la quête de pouvoir rendent sourds, aveugles. Toute entreprise humaine est, par nature, faillible. Tant qu’il y a énergie, il y a frottement. Tant qu’il y a pensées, il y a contradiction et frictions. Si tous les peuples aspirent à la paix, son application, elle, pose problème. Mais désormais, sauf en cas de danger éminent, je ne veux plus être celui qui jette la pierre : je préfère prévenir ».
Prévenir : son optimisme inaltérable lui permet justement de montrer la voie. « Malgré ses manquements, j’ai foi en l’humanité, dit-il. Je persiste à croire qu’à notre époque, l’évolution de nos cerveaux ne nous permet pas encore de vivre le rêve que nous visons. J’apporte à sa réalisation ma pierre, et ma prière… »
Son arme reste bien sûr, le reggae, musique-énergie. Alpha conclut : « Tant qu’il y aura des injustices, de l’amour, des blessures, des exploiteurs, et des exploités, le reggae sera là. Avec ses vibrations, il s’assimile à Dieu ; mais Dieu au sens large, et non rétréci, par ceux qui, en quête de pouvoir, tentent de le récupérer ».
Alpha Blondy Energy (Wagram) A paraître fin avril.
Site officiel d’Alpha Blondy
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