Macaire Etty est l’actuel Président de l’Association des Écrivains de Côte d’Ivoire (AECI). Il est Grand Prix des Associations Littéraires 2017, Catégorie Belles Lettres ; Grand Prix de Poésie africaine d’expression française 2019 ; sans omettre qu’il a été l’un des honorables Finalistes du Grand Prix Ivoire 2019 organisé par Akwaba Culture.
Enseignant de son état Macaire Etty a presque déposé la craie pour la plume, car il consacre au livre et à la littérature la quasi-totalité de son temps. Dans l’interview qui suit le Président ne prend pas de gants ; l’Écrivain qu’il est, assène ses vérités sur ce secteur culturel dont il préside la destinée en Côte d’Ivoire.
« Le prestige rattaché à un prix littéraire est-il de moindre importance que la couronne de Miss Côte d’Ivoire ? »
Interview exclusive !
Président Macaire Etty, tout écrivain semble-t-il, aspire à des Prix de Littérature. Dites-nous, écrit-on finalement, pour obtenir des Prix Littéraires ?
(Rire) L’affirmation selon laquelle tout écrivain aspire à des prix littéraires est la vôtre. Je ne la partage pas. J’écris ou je tente d’écrire des livres qui puissent s’inscrire dans la durée et pour partager des valeurs. Il peut arriver que chemin faisant, on remporte des prix mais je ne pense pas que cela soit le but de l’écriture littéraire. Et j’ose penser que la plupart des écrivains partagent mon point de vue. J’ai déjà remporté des prix et mon sentiment est que les prix exhortent ceux qui les remportent à garder le cap, à faire plus d’effort dans la créativité. Mais ils n’ont jamais été une fin en soi pour moi.
De nos jours, nombreuses sont les associations qui distribuent des Prix Littéraires à des écrivains par le biais de vote du public sur les réseaux sociaux, sans avoir lu une seule ligne, de la littérature des candidats. Que pensez-vous, Président, de ces Prix Littéraires ?
La méthode ne rencontre pas mon adhésion. Pour tout prix, il me semble mieux indiqué de mettre en place un jury qui va se charger, après lecture, de choisir le lauréat en tablant sur les critères comme les qualités littéraires et l’originalité. Faire voter même pour 10% un lauréat d’un prix littéraire sur les réseaux sociaux par des personnes qui n’ont même pas lu une ligne des textes en jeu, simplement sur la base de leur affinité avec les concurrents, c’est rabaisser la littérature. Cette pratique a lieu pour des concours de beauté dont on voit au moins la photo des candidates et pour des compétitions en art oratoire où des vidéos permettent de juger les compétiteurs à travers leurs voix et gestuelles. Et même là, les résultats sont toujours biaisés vu que certains candidats sont élus grâce à leur popularité ou leur réseau de relations.
Pouvez-vous Président Macaire Etty, nous citer quelques Prix Littéraires africains qui sont véritablement crédibles ?
Je ne détiens pas les critères de crédibilité des Prix Littéraires. Nos aînés, Adiaffi et Zadi répétaient souvent que chaque prix a son prix. Je préfère citer les plus importants, les plus connus, les plus constants. En Afrique, je ne peux m’empêcher de citer le Grand prix littéraire d’Afrique noire qui est attribué chaque année par l’association des écrivains de langue française, l’ADELF, reconnue d’utilité publique depuis le 19 juillet 1952, dont le but est de « promouvoir l’œuvre des écrivains qui, à travers le monde, s’expriment en français », comme on peut le lire sur Wikipédia.
Je pourrais citer aussi. Les Grands Prix des associations littéraires (GPAL) qui sont des prix littéraires décernés au Cameroun depuis 2013. Ces prix sont ouverts aux œuvres écrites en français, en anglais, en espagnol. Ils portent sur deux catégories : la catégorie « Recherche » concerne les essais et la catégorie « Belles lettres » réservée à la poésie, au roman, au théâtre, à la nouvelle. En s’ouvrant à trois sphères linguistiques, ce prix a gagné en notoriété. Je citerai aussi Le Grand Prix Ivoire pour la littérature africaine d’expression française décerné en Côte d’Ivoire par l’Association Akwaba Culture qui existe depuis 2008. Je ne le cite pas parce que je suis Ivoirien, mais je le cite parce que c’est un prix important en tout cas du point de vue de la sphère qu’il couvre.
Et plusieurs Maisons d’Éditions qui en principe devaient proposer les ouvrages de leurs auteurs à ces concours de littérature ont tout simplement démissionné de certaines de leurs taches. Que faire pour les amener à assumer toutes les charges d’un Éditeur ?
En Côte d’Ivoire, à mon sens, les maisons d’édition présentent tout de même des ouvrages. Mon livre Le Chant du Korafola qui avait été nominé au Grand Prix Ivoire a été présenté par mon éditeur sans même que j’en sois informé. Celles qui ne le font pas obéissent à une politique interne que je ne maîtrise pas et que je saurais juger. Cela peut aussi être la conséquence d’une lourde déception, d’une désillusion ou encore de préjugés. Il est bon que les maisons d’édition présentent des œuvres qu’elles ont éditées aux concours littéraires.
Que dire de ces Maisons d’Édition qui se disent alternatives, qui ne font rien d’autre en réalité, que de transformer les tapuscrits des écrivains en fichier PDF afin de les mettre en ligne sur leur site internet sans aucune correction ?
J’ai souvent attiré l’attention des jeunes écrivains sur ce phénomène. Ils y vont, enthousiastes et sourds à toute interpellation, mais au bout du compte c’est le désenchantement. Cependant, chacun est libre de se faire publier en ligne ou physiquement.
Dites-nous franchement Président, en Côte d’Ivoire les Maisons d’Édition payent-elles réellement les droits d’auteur ?
Il faut une enquête sérieuse pour répondre à cette question et éviter ainsi les préjugements inutiles. Je réponds donc à cette question en m’appuyant sur ma propre expérience. Deux des cinq maisons d’édition qui ont publié mes livres paient mes droits d’auteurs régulièrement.
Lorsqu’une Maison d’Édition défalque pour elle seule 40% du prix du livre et la librairie 30%, l’imprimeur 20%, sur la chaine du livre finalement, l’Écrivain se retrouve à moins de 10% qui ne sont généralement pas payés, vous les écrivains vous vivez de quoi finalement ?
J’ai vu ces chiffres circuler sur le net. Il ne faut pas les prendre comme des chiffres exacts, valables pour tous les pays. En Côte d’Ivoire, les librairies (je dis bien les librairies) appliquent 30 et 35% or vous parlez de 30%. Le pourcentage de l’imprimeur ne saurait être figé. Selon le nombre de livres imprimés, le pourcentage de l’imprimeur est souvent en dessous ou au-dessus de ce chiffre que vous avancez. Le pourcentage que vous attribuez à l’auteur relève de la théorie. Il est souvent en dessous de ce chiffre. Il peut aller au-delà ou en deçà selon le genre et la notoriété de l’auteur. Ce phénomène n’existe pas seulement en littérature. Dans le domaine de la musique le pourcentage de 10% est avancé pour l’artiste-musicien. Le gros pourcentage revient au producteur qui correspond à l’éditeur dans le domaine de la littérature.
Quel est ce remède puissant, qui fera que les écrivains percevront leurs dus auprès de leurs Éditeurs ?
Je n’ai pas de solution miracle. Juste des propositions rapides que je pourrais développer dans le cadre de cet échange. Je propose qu’il soit mis en place une politique hardie en faveur du livre et de la lecture. Que les gouvernants fassent du livre, un produit de grande consommation, en mobilisant les médias d’État. Il serait intéressant qu’il y ait une grande campagne de médiatisation par exemple pour un écrivain qui remporte un prix littéraire. Il faut qu’il soit reçu par le ministre de la culture, par le premier ministre et par le Président de la République. Ces brèches sont ouvertes seulement pour les sportifs et les musiciens. Au finish, comment la population ne va-t-elle pas aimer la musique et le football ? Nos champions en football, en taekwondo, en athlétisme, aux concours miss beauté sont reçus au sommet de l’État. Cela n’a jamais été le cas pour nos écrivains qui ont remporté le Grand Prix Littéraire d’Afrique noire. Gauz a raflé plusieurs prix à l’international sans que cela ne préoccupe notre gouvernement. Le prestige rattaché à un prix littéraire est-il de moindre importance que la couronne de miss CI ? La politique décide, régule et influence presque tout. Une population, ça s’éduque. Si les décideurs font du livre une priorité, nous aurons droit à l’accroissement du nombre de lecteurs. Et si les Ivoiriens ou les Africains lisent et consomment les livres comme des petits pains, je crois que tout le monde en tirera profit. Le gouvernement en premier.
Atty Migada, 14 ans il y a quelques années en arrière, est le plus jeune écrivain de Côte d’Ivoire. Que diriez-vous à tous ces jeunes qui embrassent la carrière d’Écrivain et qui sont pressés de produire un livre avec beaucoup d’incorrections à l’intérieur par moments ?
Qu’ils commencent par être des lecteurs chevronnés. Qu’ils se cultivent. Écrire n’est pas une course avec la montre. Si vous écrivez vite, on vous éditera vite, on vous lira vite et on vous oubliera vite. En littérature la qualité prime sur la quantité. Cheick Amidou Kane a publié L’aventure ambiguë en 1961. Avec ce seul livre il est entré dans l’histoire de la littérature africaine par la grande porte. Son second roman Le gardien du temple a été publié en 1995, soit 34 ans plus tard. Moi je publie un livre par an parce qu’avant de faire éditer mon premier livre, j’avais déjà à ma possession une dizaine de manuscrits prêts à être édités, écrits patiemment sur plusieurs années. Je ne fais que les déposer chez les éditeurs au fur et à mesure. En plus, je n’ai jamais cessé d’’écrire. Quand je boucle un manuscrit cette année, je suppose qu’il sera édité dans cinq ans. J’ai une pièce de théâtre qui vient d’être édité par L’Harmattan CI. Elle a été écrite de 2004 en 2005.
Président, En dehors de Bernard Dadié, donnez-nous cinq figures qui ont marqué d’une pierre blanche, la littérature ivoirienne.
Seulement cinq ? Difficile. Je citerai alors les anciens: Jean-Marie Adiaffi, Amadou Kourouma, Bernard Zadi, Koffi Kwahulé, Véronique Tadjo. Si vous acceptez d’aller au-delà de ce chiffre que vous m’imposez j’ajouterai donc, pêle-mêle, Maurice Bandama, Josette Abondio, Tiburce Koffi, Tanella Boni, Gauz, Henri N’Koumo, Josué Guébo.
Président, faites-nous, en quelques mots l’état des lieux de la littérature en Côte d’Ivoire.
La littérature ivoirienne bénéficie d’un boom au niveau de l’édition. Cela a pour conséquence la publication de toutes sortes de livres, de bons et de moins bons. La qualité ne va pas toujours de pair avec la quantité. Mais dans cette forêt d’écrivains, il y a des très belles jeunes plumes. Sur le plan africain et même international, les écrivains ivoiriens se font toujours remarquer positivement grâce notamment à Gauz. Mais il y a aussi Josué Guébo et Michel Henri Yere ….
Macaire Etty vous êtes Président de l’AECI, parlant personnellement de vous, pourquoi écrivez-vous ?
Pour partager des valeurs que je trouve essentielles : l’honneur, la dignité, la noblesse de l’esprit.
Macaire Etty dans 7 ans, comment voyez la littérature dans votre pays je veux parler d’ici à 2028 ? Au plafond ou au plancher de la littérature africaine ?
Tout commence par le plancher. Pour sauter il faut prendre appui sur le sol. Dans le lot, il existera toujours un noyau qui se distinguera et brillera. Nous serons toujours dans le peloton de tête de la littérature africaine car le noyau dont je parle connait les enjeux et fera tout pour voler haut.
Président pour votre mot de fin, adressez-vous aux écrivains de votre pays !
Je les invite à écrire des livres qui tiennent debout par le style d’écriture et par le travail fait sur la langue. Je les invite à inscrire leur création dans la durée.
Interview réalisée par SOUSSOY d’Ébène pour AFROGUINEE