La disparition de Nelson Mandela endeuille aussi le monde de la musique. Figure emblématique de la nation sud-africaine, il était un de ces rares personnages à avoir su mobiliser les artistes du monde entier et les rallier à sa cause depuis sa longue détention comme opposant politique durant l’apartheid.
La nuit est complètement tombée sur Hyde Park, à Londres, en cette fin du mois de juin 2008. Entourée par tous les artistes qui se sont succédé sur scène au cours de la soirée, la jeune et talentueuse chanteuse Amy Winehouse interprète Free Nelson Mandela (Libérez Nelson Mandela, ndr), en guise de bouquet final des célébrations du 90e anniversaire du plus illustre Sud-Africain.
Chanter sa cause
La version originale de cet hymne officieux, enregistrée en 1984, est l’œuvre du groupe de ska britannique The Special AKA. Son auteur, Jerry Dammers, reconnait qu’il en savait peu sur l’histoire du leader de l’ANC (African National Congress) avant d’assister en juillet 1983 au concert Africa Sounds auquel participait le saxophoniste sud-africain en exil, Hugh Masekela, compositeur de Bring Back Nelson Mandela. Mais ce qu’il découvre à cette occasion le décide à prendre position et à faire une chanson sur le sujet.
Le succès international qu’elle rencontre au moment de sa sortie donne un coup de projecteur médiatique supplémentaire sur le sort du prisonnier Mandela, enfermé alors depuis déjà plus de deux décennies. Une nouvelle étape est franchie dans la campagne de sensibilisation que mènent les adversaires de l’apartheid et à laquelle contribue la chanteuse Miriam Makeba, contrainte par Pretoria de vivre en exil depuis 1959.
Sur le continent africain, Youssou N’Dour prend le relais dès 1985. D’abord, il organise un grand concert au stade de l’amitié à Dakar pour demander la libération de Mandela. Puis il lui consacre une chanson, qui est aussi le titre de son album suivant. Sa démarche repose sur la volonté de faire prendre conscience à ses compatriotes de la situation qui prévaut en Afrique du Sud. “Au Sénégal, la majorité des gens ne sont pas allés à l’école. Ils avaient besoin qu’on les informe en leur donnant une nouvelle image de ce qui se passe là-bas, et c’est ce qui m’a décidé à écrire cette chanson”, explique le chanteur du Super Etoile dans le magazine américain Spin en 1987. Cette année-là, Omar Pene, très écouté également par la jeunesse sénégalaise avec son groupe Super Diamono, sort l’album Soweto sur lequel figure le titre Mandela qu’il réenregistrera en mode acoustique pour le CDMyamba.
La cause du détenu n°46664, retenu dans sa cellule de Robben Island située au large du Cap, inspire à la même époque le Congolais Papa Wemba (pour Esclave) et un autre roi de la rumba, Tabu Ley Rochereau, qui signe Sisi Mandela pour sa compagne chanteuse Mbilia Bel. Au Cameroun, Toto Guillaume reprend le slogan “Free Nelson Mandela” dans son titre Wake Up Africa. A Madagascar, Rossy compose Papa Mandela.
Un écho international
Progressivement, dans le subconscient des opinions publiques, l’opposant politique sud-africain change de statut pour devenir un symbole et incarner la lutte pour la liberté, l’égalité des droits. Auprès des artistes reggae, son combat reçoit un écho particulier, surtout depuis que Bob Marley a chanté Zimbabwe et pris part aux cérémonies d’indépendance de l’ex-Rhodésie où un régime d’apartheid avait été institué.
Sous sa forme instrumentale, le classique Satta Massa Gana des Abyssinians est baptisé Mandela. De son côté, le Jamaïcain Burning Spear tente un parallèle avec Marcus Garvey, pionnier de l’émancipation des Afro-Américains et Afro-Caribéens, dans Mandela Marcus, tandis qu’à Kingston, Sugar Minott écrit A Letter To Mandelaet qu’Alpha Blondy, en Côte d’Ivoire, chante Apartheid is Nazism.
La multiplication de ces initiatives finit par toucher l’Afrique du Sud. Grâce à quelques ruses pour contourner la censure, les artistes parviennent à évoquer celui qu’ils n’ont pas le droit de citer. We Miss You, Manelow (Tu nous manques, Manelow, ndr), lance en 1987 le chanteur Chicco, futur producteur de Brenda Fassie, qui s’est contenté de modifier légèrement le nom de Mandela pour que sa maison de disques accepte son morceau. Il devient si populaire que l’album est récompensé par un triple Album de platine.
Johnny Clegg n’a pas la même chance sur le plan national : son titreAsimbonanga est interdit de diffusion en raison de ces paroles : “Nous n’avons pas vu Mandela […], à l’endroit où on le retient prisonnier”. A l’étranger, en revanche, la chanson attire l’attention et suscite un engouement réel, reflété par le succès commercial qui se chiffre en millions d’exemplaires. Celui qu’on surnomme “le Zoulou blanc” endosse avec conviction le costume d’avocat de la communauté noire opprimée et de son leader historique – qui lui fera la surprise de venir danser à ses côtés en plein concert, quelques années plus tard.
De prisonnier à icône
Toute cette mobilisation autour de Mandela se cristallise le 11 juin 1988 au Wembley Stadium, dans la banlieue londonienne, où est organisé un grand show en l’honneur de ses 70 ans, bien qu’il soit encore derrière les barreaux. Retransmise dans plus de 60 pays pour une audience estimée à 600 millions de personnes, la manifestation est d’une dimension sans précédent. Les groupes et chanteurs phares de l’époque sont présents : Eurythmics, Phil Collins, Whitney Houston, UB40, Sting, Stevie Wonder ou encore Simple Minds avec son titre de circonstance intitulé « Mandela Day »…
La pression exercée de toutes parts sur le pouvoir sud-africain se révèle payante : avant la fin de l’année, le patron de l’ANC est placé en résidence surveillée. C’est l’Espoir à Soweto, chante aussitôt le GabonaisPierre Akendengué. A sa libération définitive en 1990, Mandela est déjà le Black President, comme le chante sa populaire compatriote Brenda Fassie. Son accession à la présidence de la République quatre ans plus tard, sera saluée aussi bien par l’Anglo-Jamaïcain Macka B, que le Malien Salif Keïta, dans l’albumFolon paru en 1995.
Les stars n’hésitent pas à faire le déplacement pour le rencontrer à titre privé : Michael Jackson, 50 Cent,Céline Dion… Sa sagesse impressionne, impose un profond respect : “Qu’est-ce donc que la dignité, Mandela ? Qu’est-ce que la dignité ? Enseigne-la-moi. Tu n’as ni gémi, Mandela, ni pleuré, ni supplié. Je te tire mon chapeau !”, souligne le Réunionnais Danyel Waro dans un texte paru en 2002 sur son album Bwarouz puis repris en 2010 en duo avec le Sud-Africain Tumi Molekane, la voix du groupe Tumi & The Volume.
Le Guyanais Chris Combette rend aussi hommage en 2011 avec Celui qui provoque la tempête, tout comme le Français Pep’s la même année sur son album Equilibre sauvage. Les comédies musicalesSoweto, montée en France en 2008, et Amandla !, jouée aux Pays-Bas l’année suivante, ont déjà revisité une partie de la vie de ce personnage hors du commun qu’était Mandela. Les légendes ne se racontent-elles pas en musique ?
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