Né blanc de deux parents noirs, Salif Keïta a subi l’ostracisme dont ont longtemps été victimes les albinos sur le continent ébène. Sa voix d’or a déjà blotti l’Afrique dans les oreilles du monde entier; il l’utilise aujourd’hui pour chanter la tolérance et la beauté de la différence. Métro l’a rencontré alors qu’il est de passage à Montréal.
En quoi votre albinisme a-t-il influencé votre vie?
Je suis né dans un village, au Mali, où il n’y avait pas deux albinos, il n’y en avait qu’un: moi. J’ai donc été sensibilisé très tôt aux problèmes auxquels les albinos sont confrontés: la solitude, l’exclusion, puis, en vieillissant, la discrimination. Professionnellement, un albinos, même diplômé, verra les portes se fermer plus souvent devant lui. Moi-même, par exemple, je ne serais jamais devenu musicien si je n’avais pas été albinos, parce que j’aurais eu la possibilité de faire autre chose.
Selon vous, pourquoi les préjugés demeurent-ils aussi tenaces à l’endroit des albinos?
J’ignore pour quelles raisons les préjugés sont aussi solidement ancrés, mais il ne fait aucun doute que certaines croyances ou superstitions alimentent l’exclusion des albinos. Moi, ce que je n’accepte pas, ce sont les raisons professionnelles et personnelles invoquées pour justifier l’ostracisme dont sont victimes les albinos. Ceux qui prétendent, par exemple, qu’ils ne peuvent engager d’albinos parce qu’ils sont moins compétents, seulement en se basant sur la couleur de notre peau.
Vous avez fondé la Salif Keita Global Fondation, qui vient en aide aux albinos. Constatez-vous que leur sort s’améliore?
Quand j’étais jeune, les albinos ne se fréquentaient pas entre eux, ils ne connaissaient donc pas les problèmes auxquels les autres faisaient face. La fondation a permis d’instaurer une solidarité au sein de notre communauté.
L’intégration est loin d’être parfaite, cependant: beaucoup de chemin reste à faire avant que les albinos ne soient reconnus comme des égaux dans la société. Mais on ne désespère pas : la fondation permet notamment de financer les traitements des personnes albinos qui ont besoin de soins à l’extérieur du Mali. C’est déjà une différence, puisque aucun fonds ne leur est consacré normalement.
L’exclusion dont sont victimes les albinos en Afrique, est-elle comparable à celle dont sont victimes les homosexuels sur le continent?
Je viens d’un endroit où on ne parle jamais de «ça», je ne peux donc pas me prononcer sur la question. Tout ce que je peux dire, c’est que je respecte beaucoup les homosexuels, parce qu’ils m’ont énormément aidé au début de ma carrière. Les homosexuels sont des personnes à part entière qui ont droit à l’amour, comme tout le monde.
Votre œuvre est empreinte d’un grand humanisme: pourquoi accordez-vous une telle importance à l’empathie dans vos textes?
Pour sensibiliser le monde à l’importance de partager la douleur de son prochain. C’est ça, être humaniste: comprendre la souffrance de l’autre, comme si c’était la sienne. Pour moi, c’est un devoir de chanter la tolérance. Ainsi, lorsque je ne serai plus là, l’autre génération prendra le flambeau.
***
Albinisme
Les personnes albinos sont caractérisées par l’absence de pigmentation dans la peau, le système pileux et les yeux.
- Cet état résulte d’une anomalie héréditaire.
- Une personne sur 20 000 est albinos dans le monde. En Afrique orientale, ce taux grimpe à une personne sur 2000.
Salif Keïta
Mercredi soir à 20h30
À l’Olympia