Dans cette version humaine des aventures du Roi Lion, Simba est un jeune prince appelé à régner qui, en chemin, va découvrir le danger, la trahison, l’amour, la mort et la renaissance. Construite en tableaux, cette quête identitaire imaginée par Beyoncé est mise en images par une quinzaine de réalisateurs originaires d’Afrique ou afro-américains – dont Emmanuel Adjei, Blitz Bazawule, Kwasi Fordjour – auxquels s’ajoutent des artistes tels que Pharrell Williams ou Childish Gambino, et des stars de la scène musicale africaine.

«Il y a un énorme travail créatif, c’est indéniable, analyse Sinatou Saka. Et même si la production musicale est plus anglophone que francophone, on note tout de même la présence du chanteur camerounais Salatiel et de l’artiste malienne Oumou Sangaré. On entend aussi différentes langues du continent et c’est assez appréciable. C’est très flatteur pour les Africains. Je m’attendais peut-être à davantage de pépites, de prises de risques : la plupart des artistes sont déja têtes d’affiches dans leurs pays. Mais je reste ébahie par l’inventivité visuelle du film.»

Un foisonnement de références

Idéalisation de l’Afrique et de ses cultures, mise à l’honneur d’artistes et de créateurs de mode du continent, ode aux beautés noires et auto-célébration de Beyoncé… Black is King est un peu tout ça à la fois. «Je m’attendais à un Wakanda bis (royaume africain fictif présent dans l’univers Marvel, NDLR) mais ça n’est pas le cas. Contrairement à Black Pantherqui offre une vision futuriste africaine-américaine de l’Afrique, il n’y a pas d’omniprésence de la technologie. C’est un film certes bling-bling, mais sans gadgets high-tech», commente la journaliste.

Maisons peintes tdébélés d’Afrique du Sud, vannerie tutsi, coiffes en cauris et en raphia… L’album visuel de Beyoncé abonde de références aux rites et aux cultures africaines, nécessitant peut-être d’être déjà connaisseur en la matière pour être apprécié à sa juste valeur. Foisonnant, il frappe la rétine au point de créér une sensation d’overdose d’images captivantes et déroutantes à la fois. Selon la journaliste, certains tableaux du clip de 95 minutes peuvent créér «l’illusion d’un continent parfait».

Dans la séquence intitulée Mood 4 qui se déroule dans une sompteuse villa – et dont certains passages rappellent le clip de Beyoncé et Jay-Z filmé au Louvre – «c’est l’élite africaine qui s’adresse à l’afro-américaine, et inversement», analyse Sinatou Saka. Une façon de rappeler aussi que l’Afrique détient de nombreuses richesses naturelles et compte de belles fortunes. «Montrer l’Afrique comme ça, c’est vendeur. On a tellement exposé le côté misérabiliste du continent qu’il faut faire rêver. Je crois qu’il faut des alternatives, montrer les Africains dans toute leur complexité.»

À ce titre, la journaliste salue la réalisation «qui montre les peaux noires dans toute leur diversité. C’est très rare de les voir aussi bien filmées, avec autant de nuances.» Un aspect qui se vérifie en particulier dans la séquence du bal des débutantes qui illustre la chanson Brow Skin Girl, dans laquelle on reconnaît notamment la petite Blue Ivy et sa grand-mère Tina Knowles-Lawson, Naomi Campbell, Kelly Rowland ou encore la mannequin australo-soudanaise Adut Akech.

Une revendication de la fierté noire

Black Beauty, black power, black love, black skin, black culture… Black is King. L’album visuel de Beyoncé est une revendication de la fierté et des beautés noires. Une idée qui nécessite d’être mise en valeur, selon Sinatou Saka. «Il ne faut pas oublier que la dépigmentation est encore pratiquée dans certains pays africains, où la peau claire est perçue comme un atout dans la vie. Donc nous avons besoin de ce genre de film pour glorifier notre identité noire. Moi par exemple je suis béninoise, et ma mère me répète constamment ce dicton yoruba : « L’enfant ne tombe pas de l’arbre ». C’est une façon de dire qe l’on est issu d’une histoire, d’une lignée, d’une communauté. Mais par ailleurs, au delà de l’aspect culturel dont nous sommes très fiers, j’aimerais l’être aussi de voir qu’un jour, tous les Africains auront accès aux soins, à l’eau et aux services de base de la vie quotidienne. Ce n’est pas encore le cas, même si on constate des avancées. Mais cela n’incombe bien sûr pas à Beyoncé.»

Beyoncé en Isis, divinité égyptienne

Beyoncé en Isis, divinité égyptienne

Incarnant tour à tour son personnage de Nala, celui d’Oshun, déesse yoruba ou encore la divinité égyptienne Isis, Beyoncé figure dans tous les tableaux du film. «On la voit dans tous les clips. C’est un peu mégalo, mais c’est aussi une façon de dire : je suis une femme noire et j’ai réussi. Ce message s’adresse en premier lieu aux Afro-Américains et ensuite aux autres.»

Un film d’actualité?

À l’heure où le mouvement Black Lives Matter et les manifestations contre les violences policières et le racisme agitent le monde entier, l’artiste délivre un puissant message. «Sa notoriété lui permet de toucher énormément de populations noires et afro-descendantes, partout dans le monde, conclut la journaliste. Cette prise de parole arrive au moment où les minorités noires sont épuisées par des décennies d’oppression et de combats. Black is King glorifie les Noirs que des siècles d’esclavage et de colonisation ont tenté d’effacer. Comme l’écrivent certains internautes, « c’est un moment africain ». Et je pense qu’on a encore besoin de voir ce genre de film pour casser des stéréotypes qui ont la peau dure.»

Extrait : Le Figaro et Courrier International