Passée par la comédie musicale La Rue Zabym, entendue auparavant aux côtés d’Admiral T, la chanteuse G’Ny a placé son premier album solo, baptisé Libèté, sous le signe de la musique kako, une évolution de la musique antillaise en phase avec la génération de musiciens qui la porte.
RFI Musique : Ce premier album ressemble-t-il à ce que vous aviez imaginé quand vous avez commencé à le préparer ou a-t-il évolué en cours de route ?
G’Ny : Au moment où j’ai mis le pied dans la construction de l’album, on était en 2008. J’étais en Guadeloupe, pas encore en métropole, je vivais des réalités différentes. J’ai eu le temps de murir les idées et de savoir véritablement dans quelle direction je voulais aller. Ensuite, il ne manquait plus que la pratique. En studio, c’est un mélange d’organisation et de spontanéité. Le fil directeur était clair. Je savais là où je voulais aller, mais il fallait vraiment que je me souvienne à chaque fois de la raison pour laquelle je faisais cet album, de ce que j’avais envie de communiquer pour rester suffisamment authentique et qu’il soit cohérent.
Quel est ce fil directeur ?
C’est une démarche qu’on appelle chez nous « kako musique ». Je fais partie d’une génération de jeunes musiciens qui tentent d’utiliser la base des musiques traditionnelles et de les mélanger à des musiques différentes, comme la soul, le hip hop, la pop, même le rock. Sans calcul. La Guadeloupe est à un endroit où on reçoit les influences des États-Unis. On est plongé en plein dans la Caraïbe, et en même temps, nous sommes français. C’est un mélange évident pour nous.
Qu’est-ce qui explique qu’il vous ait fallu une décennie, depuis votre duo avec Admiral T sur son album Mozaik Kreyol, pour finaliser ce premier album ?
Beaucoup de prudence. J’ai eu des propositions, mais je ne savais pas quoi apporter. J’avais eu deux ou trois singles, des expériences en r’n’b, soul, que j’avais aimées, mais j’avais besoin d’une expression propre, qui me ressemble vraiment. Je n’allais pas faire un album simplement pour en faire un. Donc j’ai privilégié les collaborations. Ça m’a aidé à me construire. Tout s’est décanté lors d’une résidence d’artistes au Canada, début 2009. Je me suis rendu compte à quel point la façon dont je pouvais cataloguer ma musique n’était pas du tout vraie : je me trouvais face à un public qui entendait à travers le gwo ka, instrument traditionnel de chez moi, un instrument comme un autre. Et puis il y a des rencontres qui permettent de prendre confiance en soi, et celle avec Stephane Castry (bassiste et notamment bandleader d’Imani, NDR) en fait partie. On a commencé à travailler ensemble en 2009 et très rapidement, j’ai senti un vrai soutien alors que j’étais dans l’hésitation. Au départ, j’avais commencé cet album en autoproduction, mais il y a un moment où on est limité. Ça m’usait de gérer aussi les concerts, la logistique, la promo. Ça avait beaucoup d’impact sur ma capacité à créer. J’étais arrivée à un moment où tout aurait pu s’arrêter là. Alors je suis partie à la recherche d’un label et mes maquettes sont arrivées sur le bureau de José Da Silva, de Lusafrica, qui a eu envie de travailler rapidement avec moi.
Si la possibilité d’arrêter vous a effleuré, cela signifie-t-il que vous ne vous pensiez pas vraiment comme chanteuse ?
Au tout début, ça a été une passion. J’ai toujours eu du mal à considérer cela comme un métier. Sûrement parce qu’on le voit comme ça chez moi, en Guadeloupe. En faisant la comédie musicale La Rue Zabym, à partir de 2004, je me suis rendu compte de tout ce que je ne savais pas. Ça m’a aidé à me professionnaliser, à comprendre le fonctionnement du métier et envisager qu’on pouvait en vivre. Ce spectacle racontait une histoire d’amour impossible dans un contexte d’élections législatives en Guadeloupe en 1902. Ça a été quatre ans de bonheur, parce que j’ai pu puiser dans mes capacités, ce que j’avais déjà comme acquis en termes de danse. J’ai eu la possibilité de lâcher-prise, une vraie liberté d’interprétation. On se retrouve à camper un personnage qui s’apparente à soi.
Qu’est-ce qui, au départ, vous met sur le chemin de la musique ?
La danse. Au départ, je voulais être danseuse chorégraphe. J’ai eu un problème physique qui m’a empêchée de poursuivre en sport-études. À l’époque, j’ignorais que j’étais une artiste avec des choses à exprimer, mais la musique s’est présentée à la fois par hasard et naturellement. En fait, tout ce que je ne pouvais plus dire par le corps, je l’ai déversé dans la musique.
Vous avez invité Valérie Louri et Jocelyne Beroard à partager le micro sur votre album. Qu’est-ce qui vous lie à ces deux chanteuses antillaises ?
J’ai toujours eu envie de chanter avec ces deux artistes. J’ai rencontré Valérie Louri à l’époque de La Rue Zabym parce qu’elle tournait déjà dans le milieu des comédies musicales. Elle m’avait beaucoup encouragé à venir à Paris, faire des castings… Nous nous sommes liées d’amitié et musicalement, il y a une vraie connivence, quelque chose d’évident qui passe entre nous. Ce titre-là, Zyé Ki Lach, on l’avait maquetté depuis 2009. Quant à Jocelyne Béroard, c’est un peu comme une grande sœur. Elle a eu les bons mots quand je me questionnais au sujet de cet album, de cet univers musical. Elle me disait que créer était l’essentiel. Avoir peur que les autres l’acceptent ou pas est une autre étape. Et puis, elle a été un véritable exemple dans toute ma jeunesse et ça me semblait symbolique qu’elle soit sur mon premier album solo. J’ai toujours aimé ses interprétations, sa force très organique. J’aime les gens qui chantent comme si c’était une question de vie ou de mort. C’est beau.
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