Nous avons rencontré Faada Freddy et N’Dongo D de Daara J Family, Emile Biayenda des Tambours de Brazza et Femi Kuti. Pas pour parler de leurs albums mais de leurs instruments de prédilection. Entretien autour d’une relation intime.
C’est souvent une histoire d’amour-passion, parfois un corps à corps, la plupart du temps un mariage scellé à vie. Le musicien consacre à son instrument des heures de conversation, lui voue son temps et partage avec
lui des histoires qui en disent long sur sa vie. Entre deux concerts donnés au 43e festival Musiques Métisses, à Angoulême, les rappeurs
sénégalais Faada Freddy et N’Dongo D de Daara J Family se sont confiés sur leur voix, le premier des instruments, pilier de leur rap endiablé. Fondateur, chef d’orchestre et batteur des Tambours de Brazza, Emile Biayenda nous a raconté sa vie avec sa batterie, colonne vertébrale de sa formation dédiée aux tambours Ngoma venus de son Congo natal. Le fils aîné de Fela Anikulapo Kuti, Femi Kuti, s’est livré, lui, sur sa relation avec son saxophone et sa trompette.
Confidences, anecdotes, conseils, en trois parties.
PART 3 Femi Kuti
©Optimus Dammy
Marianne : Comment vous entraînez-vous au quotidien ?
Femi Kuti : Ces derniers temps je joue plus de la trompette que du saxophone. Quand je suis allé en studio un jour, en 2001, j’ai demandé à mes trompettistes de jouer. Ils étaient très indisciplinés, ça m’a énervé et j’ai donc été obligé d’engager un trompettiste cubain pour faire les parties de mon album. Alors je me suis juré qu’aucun musicien de me prendrait plus jamais en otage ! Dans les deux derniers albums, c’est moi qui ai joué les parties de trompette. J’essaie d’amener mon niveau de jeu à la trompette à celui que j’ai au saxophone. Quand je suis en tournée, je pratique plus souvent le sax. J’essaie de m’entraîner au minimum 6 heures par jour. En tournée, c’est plus compliqué car on joue tous les soirs, je passe deux à trois heures à m’entraîner. Plus je pratique, meilleur je suis, ça marche comme ça, la musique est ma vie.
M. : A quel âge avez-vous appris le saxophone et comment ?
F.K. : Très tardivement, j’avais 16 ans. Ce n’était pas bon du tout car je pense que, quelque soit l’instrument, il faut démarrer dès l’âge de cinq ans si vous voulez faire de la musique. Mon fils a commencé à apprendre la trompette à trois ans, les autres se sont mis au saxophone, au piano, à la guitare ou à la batterie à cinq ans. De cette manière, plus tard, vers quinze ans, ils pourront décider de ce qu’ils veulent faire, et s’ils veulent poursuivre la musique, ils devront atteindre un autre niveau encore. Apprendre à jouer d’un instrument est très important, ça apporte une discipline dans votre vie. J’ai été mon propre professeur, j’ai tout appris tout seul. Ça peut surprendre quand je dis ça, mais ça a été la grande bagarre entre mon père Fela et moi. Son excuse était que je n’avais pas besoin de professeur pour devenir un grand musicien. Ce n’était pas une bonne excuse pour moi ! C’est important d’avoir un apprentissage de base, un professeur qui montre la direction puis prend ses distances pour te dire : « A toi de jouer maintenant ». J’ai du me battre toute ma vie pour avoir un bon niveau et ça n’a pas été une partie de plaisir. Le côté positif, c’est que j’ai réussi à trouver un équilibre, je peux aujourd’hui enseigner à mes enfants ma manière de jouer mais ils doivent aller à l’école quand même. Ils peuvent combiner mon savoir et leur éducation. Moi j’ai travaillé, travaillé, travaillé. J’ai été malheureux pendant une longue partie de ma vie parce que si souvent frustré…Je ne peux pas critiquer mon père en bloc parce que ça m’a mené à ce que je suis aujourd’hui, mais c’était très risqué.
M. : Combien avez-vous de saxophones et de trompettes ?
F.K. : Beaucoup ! En état de marche ? Deux tenor saxophones, cinq alto, quatre trompettes, mais j’en ai donné à mes enfants. Le saxophone de mon père ? Je l’ai vendu. Mon premier saxophone venait de lui, c’était un Selmer, mais la marque en a sorti des mieux après. Quand Fela est mort, il m’a laissé un tenor sax, je l’ai échangé contre un autre, un Selmer Super Action 80. Donc je n’ai plus l’original, j’ai la version supérieure. Maintenant je n’ai plus envie d’en changer, même si j’en ai eu l’occasion. Mon sax semble vieux et rouillé mais le son a une histoire, et l’histoire à mon âge est trop importante pour la laisser de côté ! Il fait partie de moi. Je n’en changerai probablement plus jamais.
©Optimus Dammy
M. : Le saxophone est-il un instrument fragile ?
F.K. : Oh oui ! C’est pourquoi je préfère la trompette. Elle est plus robuste, le saxophone, lui, est trop délicat. Quand vous vivez en Afrique ou que vous voyagez beaucoup comme moi, le saxophone est si compliqué ! Le moindre petit problème devient important. Et quand vous transpirez ou dansez comme je le fais, c’est trop difficile avec le saxophone. La trompette est facile, quand il y a un souci, avec le sax c’est fichu, alors qu’avec la trompette ce n’est jamais un vrai problème.
M. : Racontez-nous une mésaventure avec votre saxophone.
F.K. : Une fois, j’en ai vécue une belle ! Lors d’un festival. Mon fils était là, et son lacet de chaussure était défait. C’était cinq minutes avant mon entrée en scène. Je me suis baissé pour nouer son lacet, et en me baissant j’ai cogné mon saxophone qui était à côté. Il est tombé, s’est plié, et je ne pouvais plus en jouer. Une musicienne d’un groupe qui venait de passer sur scène m’a prêté le sien. Ça a été une nuit terrible parce que j’avais tant travaillé pour être au top ! Utiliser un instrument que je ne connaissais pas… il n’y avait pas de connexion ! J’ai quand même joué mais ça a été une expérience horrible. Mais j’ai appris ! C’est la vie, on ne laisse pas une erreur vous mettre par terre. Maintenant, je fais attention, ça ne pourra plus jamais arriver.
M. : A contrario, racontez-nous une belle histoire avec votre saxophone.
F.K. : Il y en a tant ! Il n’y a rien d’aussi formidable que de jouer du saxophone. Quand vous êtes au summum, et que vous savez que vous l’êtes, vous embarquez le public avec vous, la voix qui sort de cet instrument est angélique. Vous êtes quelque part concentré mais vous sentez que vous contrôlez tout le monde, vous portez l’esprit de chacun juste par ce son, vous sentez l’impact qu’il a. C’est magnifique, rien d’autre ne peut atteindre une telle force. Je pense que l’artiste est juste un intermédiaire, au service de cette force. S’il se met à sa disposition, alors ça peut atteindre la perfection, l’état de grâce total, pour lui comme pour le public. Et c’est une aventure fantastique.
M. : Faites-vous parfois un break pour laisser de côté votre saxophone un temps ?
Non, je ne peux pas faire ça. Jamais. Sauf quand je suis malade. Si je ne peux pas jouer, waouh… Non, c’est impossible d’arrêter.